A ceux qui ne jouaient pas encore, à ceux qui sont passés à coté, à ceux qui l'ont détesté mais surtout pour ceux qui l'ont adoré, sachez Ladies and Gentlemen du monde ludique que Brass, l'un des jeux les plus connus de Martin Wallace, fêtera ses 10 ans cette année. J'ai eu envie de vous en parler parce que j'ai la nostalgie d'un jeu qui aura marqué mon modeste parcours ludique, parce qu'il y a eu toutes ces intenses parties disputées, parce qu'on peut encore lire ici et ailleurs de nombreux commentaires sur les stratégies possibles, parce que j'ai eu le plaisir de "brasser" avec des joueurs redoutables, enfin parce que c'était il y a 10 ans tout simplement...
La numérotation Warfrog donne à Brass le n°1019, faisant suite ainsi à Mordred (1). Le jeu était très attendu car annoncé comme un retour de l'auteur anglais au jeu de gestion/connexion, un genre qui avait fait sa réputation avec notamment Age of Steam. Le Maestro était entré depuis dans une période plutôt orientée vers les jeux d'affrontements militaires comme Byzantium, Struggle of Empire ou encore Perikles. Cependant, le thème annoncé à savoir « la révolution industrielle dans le Lancashire », troublait beaucoup de monde si je m'en tiens aux échanges sur le web : certes, le sujet devait parler a beaucoup d'anglo-saxons de l'autre coté de la Manche, mais peu aux frenchies dont l'intérêt pour l'Histoire dans les jeux, même de France, est souvent toute relative. Les termes de « pas très sexy » revenaient assez régulièrement. Et bien oui : Dans Brass, il n'y a pas de zombie, de dragon, de guerrier interstellaire surarmé, de terre lointaine à coloniser, ni même de château à construire, mais par contre on y trouve des mines de charbon, des sidérurgies, des filatures, des ports, des chantiers navals, des canaux, des rails, du charbon et du fer. Clairement, nous sommes loin de l'univers de Twillight Imperium ou de La guerre de l'anneau. Brass n'incite pas beaucoup à l'évasion, c'est vrai. Et pourtant...
Présenté par son auteur au salon d'Essen 2007 (2), Brass a suscité rapidement un grand intérêt auprès des gamers. Son apprentissage n'était toutefois pas des plus simples. Le Maestro a eu la curieuse idée de présenter les règles en deux étapes, la première expliquant les règles et la deuxième… précisant les règles. Cela obligeait à faire des aller-retours curieux et un brin énervants dans le livret, alors qu'il était possible de regrouper les règles de construction d'entreprises par exemple sur deux pages à la suite et non sur des pages séparées… mon livret en serait aujourd'hui moins chiffonné. Comme souvent, les illustrations de Peter Dennis ont été abondamment commentées mais évidemment l'essentiel n'était pas là. Le jeu a bénéficié d'un très bon buzz durant le salon, et il s'est vite écoulé après son arrivée dans les boutiques.
Alors pour mémoire, une partie de Brass se joue en deux périodes, celle des canaux et celle du rail. A la fin de celle des canaux, les bâtiments de niveau 1 deviennent obsolètes et seuls ceux d'un niveau supérieur resteront sur le plateau pour l'ère du rail. Les canaux disparaissent également et on en retire les tuiles ; Je me permets de préciser qu' historiquement, les canaux n'ont pas été "rebouchés" évidemment, mais ils furent moins utilisés au profit du rail qui permettait de transporter plus et plus vite. La mécanique de jeu ne présente pas une originalité particulière : A votre tour de jeu, vous pouvez jouer deux actions parmi 5 possibles. Il suffit de jouer des cartes pour effectuer vos actions, puis vous complétez votre main… facile non ? L'action la plus complexe est celle qui permet de poser des bâtiments. Les conditions sont en effet assez contraignantes, et dépendent de la carte jouée, du bâtiment visé et de la capacité ou non de faire transiter du charbon jusqu'au lieu de construction. Un joueur de Brass doit faire face à plusieurs défis : bien gérer sa main de cartes et son argent, placer le mieux possible ses bâtiments et rails en tenant compte des évolutions du plateau, préparer correctement la période rail durant la période des canaux, jouer les actions ventes avec le bon timing, savoir emprunter quand c'est nécessaire, savoir dépenser tout en pensant à l'ordre de tour, surveiller les ressources charbon et fer afin d'être prêt éventuellement à écraser des mines ou sidérurgie adverses, etc.
Brass est prévu pour être joué à 3 ou 4 joueurs. Je ne sais toujours pas pourquoi la configuration 3 joueurs est l'objet de quelques critiques. Parmi mes meilleurs souvenirs de Brass, il y a des parties à 3 joueurs et elle ne furent en rien inférieures en tension par rapport à d'autres jouées à 4. Il existe une très bonne variante pour y jouer à 2, qui propose notamment une adaptation du plateau (3). Quand je relis des compte-rendus d'époque sur Jedisjeux ou ailleurs, je reste surpris de voir à quel point Brass a su inciter certains joueurs habituellement très discrets à s'exprimer sur le web suite à une partie. Les discussions sont parfois très techniques et riches d'enseignements, elles vont bien au-delà des simples « j'aime/j'aime pas ». On peut même percevoir toute la tension avec laquelle les joueurs ont vécu la partie. Les commentaires sont souvent lucides sur les erreurs commises ou bien les bons coups joués, les échanges font ressortir toute la richesse du jeu. De nombreuses stratégies ont été essayées : Celle qui privilégie les filatures, une autre mines et chantiers navals, une autre ports et sidérurgies, et d'autres qui mélangent un peu tout cela. Je me souviens d'un joueur qui avait parié de jouer une partie sans faire d'emprunt… et bien il l'a fait et il a gagné.
Brass, c'est le genre de jeu qui vous implique. Un joueur m'a dit un jour « Tu sais la partie d'hier soir, et bien j'en ai rêvé cette nuit ! j'avais le plateau sous les yeux avec des bâtiments dans les villes, et je me disais que je devrais faire ceci plutôt que cela, etc... ». Oui, je le comprenais très bien, car il m'était arrivé exactement la même chose !
Martin Wallace s'est montré sévère avec Brass, le créateur a presque rejeté sa création. Il a expliqué n'avoir pas bien compris le succès de Brass, qu'il ne voulait plus en entendre parler, qu'il y avait trop joué et présente Age of Industry (AoI) comme étant la version qu'il voulait obtenir à l'origine. On a quand même du mal à ne pas y voir quelques idées mercantiles (4). AOI a en plus souffert d'être pour de nombreux joueurs un clone un peu dénaturé de Brass. Sans trop entrer dans les détails, certains aspects ont quand même été « adoucis » selon moi, les nombreux échanges sur les forums à ce sujet et les arguments des pro-AoI ne m'ont jamais vraiment convaincu (5). Par exemple AoI permet quand même de marquer les points de victoire d'un bâtiment placé même si la tuile n'a pas été retournée, alors qu'à Brass, une filature (ou autre) qui n'a pas trouvé de débouché donne ni argent, ni point. Sur le plan financier, il me semble également bien plus souple. Des défenseurs d'AoI estiment que la période canal de Brass ne sert pas à grand-chose. Je crois au contraire qu'elle est l'un des charmes du jeu, et si faire une bonne période canal ne garantit rien sur le résultat final, j'ai vu dans quelques cas des joueurs prendre un avantage à la fois positionnel et en points… et le conserver. AoI est toutefois un bon jeu, plus facile à sortir que Brass je pense, grâce notamment à des règles épurées. On nous propose en plus deux plateaux dans la boite de base. Cependant, je le vois toujours un peu comme une préparation à son aîné qui est, peut-être et selon les goûts, moins parfait, mais dont les parties sont plus intenses.
Le succès du jeu a largement dépassé le cercle des aficionados du Maestro. Je connais des joueurs qui ont découvert les jeux de Wallace en jouant à Brass. Ils se sont intéressés alors à Liberté, Byzantium, Age of steam, etc, puis ont fini comme d'autres à attendre avec impatience les nouvelles créations de l'auteur anglais. L'engouement autour de Brass a donné lieu à des choses amusantes, comme le fameux T-Shirt « I love Birkenhead », le type même de l'objet geek. Il fait en référence à une ville du plateau qui a fait parfois polémique pour son opportunité et le manque de clarté dans les règles la concernant (6). Certains fans ont créé un « Brach'ti » (7), inspiré des règles de Brass, en l'honneur du passé minier du nord de la France. Sur un site mis en ligne en 2009, on peut toujours s'affronter à Brass. De beaux tournois s'y sont disputés et j'ai pu y participer notamment avec des collègues « brassistes » d'un autre site.
Brass (classé aujourd'hui 24 ième sur BGG) a 10 ans et il reste pour moi l'une des plus redoutables créations de Martin Wallace, quoiqu'il en dise lui-même. Sur jedisjeux, il y a 40 parties enregistrées, toutes le sont avec des commentaires parfois très approfondis, ce qui est bien le signe de quelque chose. Je vous invite à les redécouvrir.
(1) Un grand écart assez amusant quand on connaît la légèreté de Mordred, édité par Warfrog à 1000 exemplaires pour aider une association. A noter que Brass sera le dernier jeu à être estampillé Warfrog.
(2) Sur les jeux marquants d'Essen 2007, comme Amyitis, Demetra, 1960 The making of the President et d'autres, je vous invite à consulter cette page du site de monsieur Loic Boisnier
http://jeuxdeplateau.com/bilan-essen-2007.html
(3) Pour jouer à Brass quand on est 2 :
http://www.jedisjeux.net/variante.php?variante_id=31
(4) Voir notamment les notes de l'auteur à la fin du livret de Age of Industry : « I have to admit that I have been surprised by the popularity of Brass, as have some of my regular play testers. I Thought it might be a good idea to come up with a version that allowed the game to be played on different maps. Brass was more complex than I would have liked due to the special circumstances surrounding the industrial revolution in Lancashire ». Pour Age of Industry, chouchouté par le Maestro, il devait suivre des plateaux-extensions pour proposer de nouveaux défis, comme les extensions de Age of Steam. A ma connaissance, une seule extension fut éditée, le plateau Japon-Minnessota… j'en profite pour lancer un appel : si quelqu'un la vend à un prix raisonnable, je suis preneur...
(5) Merci à monsieur Pyjam pour le guide Age of Industry qu'il m'avait communiqué il y a quelques années. Je le conserve depuis dans la boite de jeu.
(6) Une autre polémique a porté sur le « Fer qui vole » dans Brass, bien peu thématique. L'auteur a précisé alors qu'il fallait voir le fer plutôt comme un progrès technologique, la capacité de fabrication. Il a néanmoins corrigé le tire dans Age of Industry où le fer doit être acheminé comme le charbon.
(7) Monsieur Ricoh, monsieur DeMat, si vous me lisez, salutations cordiales.
Un lien sur les éléments du jeu est toujours disponible sur la fiche jedisjeux de Brass.
http://www.jedisjeux.net/goodies/brachti.zip
Quelques liens pour aller plus loin :
Brass chez les collègues du web (liste non exhaustive) :
Chez Vindjeu : https://www.vindjeu.eu/2009/06/06/brass/
Sur le site de Loïc Boisnier (avec quelques conseils de jeu) : http://jeuxdeplateau.com/Brass.html
Sur Ludigaume : http://www.ludigaume.be/v4/php/lg_fiche.php?id=1096
Le site de Ludovic Gimet (traducteur des règles VF) http://www.ludolegars.fr/20072007brass/#comments
Sur trictrac (voir surtout les échanges sur le forum) : https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/brass
L'aide de jeu de Tigarou sur Jedisjeux : http://www.jedisjeux.net/goodies/brass- ... 116409.pdf
… et bien entendu nos nombreux compte-rendus de partie.
Sur Boardgamegeek : https://boardgamegeek.com/boardgame/28720/brass
Sur Boardgaming : http://boardgaming.com/games/board-games/brass